Mais comment faisaient nos grand-mères ?!

Est-ce que lorsque vous vous plaignez ou vous êtes abattue, vous êtes du genre à en rajouter une couche en vous demandant « Comment faisaient nos mères et grand-mères » ?
Vaste sujet de culpabilisation irrationnelle qui n’atterrira probablement jamais bien car vous n’avez plus aucun moyen de comparaison. Cela m’arrive régulièrement et j’en déduis souvent des grandes pistes de remise en question ou de nouvelles sources de culpabilité.
Ma grand-mère n’avait pas nos moyens financiers et pas (du tout) le même mari et elle a quasi élevé seule 7 enfants (pour la majorité des garçons) sans broncher.
Quand aujourd’hui, je lui demande si elle a souffert, jamais elle ne mentionne que cela a été dur. Et pourtant ; cela a dû l’être. Alors que j’ai l’impression de me plaindre trop souvent. Comment puis-je ose me laisser abattre ? Puis un jour, elle a eu cette phrase libératrice « Oh tu sais à l’époque que nous vivons, jamais je n’aurais eu 7 enfants. Jamais je n’aurais su être comme vous ».
Des femmes ambivalentes
L’avènement de l’égalité des sexes et autres parités ont facilité l’arrivée des femmes dans le monde du travail ou bien simplement ont mis au jour de nouveaux rôles et de nouvelles aspirations pour les femmes de notre époque. Je me souviens d’un excellent passage de Les Bourgeois d’Alice Ferney qui décrivait ce qui a probablement dû être le lot de ma grand-mère « La première fille de Mathilde allait devenir mère à son tour. Elle n’avait pas conscience alors de suivre la voie toute tracée des femmes Bourgeois […] Croyant choisir seulement son mari, elle avait en réalité opté pour une façon de vivre. Sa fantaisie et ses ambitions s’apprêtaient à mourir dans les embuscades de la maternité » quel tableau ! Je crois plutôt que les femmes de cette génération suivaient l’ordre naturel des choses, sans se poser des questions que l’évolution des mœurs n’avait pas encore fait surgir.
A l’inverse, nos années de fécondité physique sont traversées de questionnements et de multiples possibilités de choix. Ai-je envie d’un (autre) enfant ? Ai-je l’énergie nécessaire ? Oui mais alors je ne peux pas changer de travail ? D’ailleurs, ne devrais-je pas m’arrêter temporairement ? Ne devrais-je pas me mettre à mon compte pour plus de liberté entre mes multiples casquettes ? Dois-je me reconvertir pour un travail plus stable ? Si je m’arrête, quelle source d’épanouissement trouver en dehors de mon foyer ? …
La femme moderne est ambivalente. Elle traverse la vingtaine, la trentaine voire la petite quarantaine partagée entre des envies qu’elle peut toutes assouvir mais qui comme tout choix, implique des renoncements. Son champ des possibles s’est élargi mais ses clefs de lecture sont restées les mêmes. Elle est tiraillée entre de multiples rôles qu’il est dur de concilier. A une autre époque, certaines ont apprécié ne pas avoir à se poser tant de questions.
Des femmes mises sous pression
Et quoi qu’on en dise, ses choix ne sont pas totalement libres. Sur chaque théâtre de sa vie quotidienne, elle reçoit des attentes à combler. Dans une société où les femmes doivent être belles, maternelles, aimantes, élégantes, intelligentes, cultivées, indépendantes,…comment trouver de la place pour ses propres désirs profonds ? Comment savoir qui nous voulons vraiment être quand nous sommes à la fois bombardées de modèles dans tous le sens et souvent sommées de nous y conformer ? Comment savoir quelle est la vie que nous estimons bonne pour nous seule ?
L’émancipation a laissé le champ libre aux jugements et aux injonctions « Puisque tu l’as voulu, assume » et donne toi les moyens…
Assure un job passionnant, sois là tous les soirs pour raconter une histoire et partager le quotidien, achète bio pour avoir des enfants en bonne santé et au teint frais (mais alors remplir ton frigo deviendra une course d’orientation), décore ton intérieur comme si c’était un magazine de déco, protège ton couple avant toutes choses, nourris toi intellectuellement pour briller en société, prend soin de toi les autres te regardent partout maintenant …
Où ai-je perdu ma liberté ? Quand est-il devenu si difficile d’assumer des choix basiques au quotidien ?
Les femmes d’aujourd’hui vivent dans une culpabilité permanente de ne pas être parfaite alors que ma grand-mère avait totalement abandonné cette idée. Non qu’elle se laissait aller, mais elle acceptait qu’elle ne pouvait pas tout contrôler, que ça ne serait pas parfait mais que ça serait quand même. A chaque jour suffisait sa peine sans avoir besoin d’un bullet journal pour optimiser chaque aspect de sa vie et remplir les cases de la check-list qu’est parfois devenue la nôtre. Réapprenons que parfois réussir des choses très simples (un garde-manger complet même si il y a des céréales industrielles, un repas qui fait l’unanimité même si ce ne sont que des pâtes, une histoire même si c’est un bouquin Disney, un trajet en voiture dans le calme même si les enfants ont des tétines,…) c’est déjà un accomplissement.
Ce que chacune fait est très bien
La vie n’était pas plus simple pour nos grand-mères, la comparaison n’a pas de sens, elle était simplement différente. Retenons quand même de cette discussion que des femmes qui ont beaucoup accompli reconnaissent que nous sommes des héroïnes du quotidien. Et parfois, ça fait du bien de se l’entendre dire !
Nous n’avons pas la même vie, nous n’avons pas les mêmes enfants mais nous nous retrouvons dans ce désir de bien faire et de faire tout ce que nous pouvons. Nos grand-mères n’étaient pas plus des warriors, elles ont du se plaindre aussi en leur temps mais ont maintenant le recul pour se rappeler de l’essentiel.
Et l’essentiel c’est ce que nous faisons chacune à notre mesure au quotidien, aimer nos enfants et leur donner la confiance qui font le ciment de leurs personnalités, les soutenir discrètement dans leur cheminement dans la vie, témoigner chaque jour des valeurs et des interdits qui sont les nôtres et que nous estimons bons pour eux, leur donner le goût de s’émerveiller des bienfaits et la résilience de supporter les obstacles,… voilà un programme qui ne changera jamais !
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5 commentaires
Il est drôle cet article qui vise à nous déculpabiliser, et qui y réussit même plutôt bien… jusqu’à ce qu’on arrive à la dernière phrase qui vient remettre une couche d’injonctions à être parfaite !
Objectif manqué !!
Merci, très bien écrit !! Ah cette pression au quotidien et la culpabilité qu’on y associe souvent… à la fois humain et inhumain… acceptons ce qui est, félicitons-nous de ce que nous faisons plutôt que de s’apitoyer sur ce que nous n’avons pas fait
Je rejoins pour remercier votre grand-mère de sa phrase !! On a tellement souvent l’impression de mal faire et en plus d’oser se plaindre …
Merci pour ce bel article !
Merci pour cet article avec lequel je suis seulement à moitié d’accord. De fait nos mère et grand mère ( 11 et 9 enfants dans mon cas) ne se posaient pas tant de question, avaient souvent un plus grands sens du devoir, du courage a en revendre ( moins de tentations réseaux sociaux ou autres!) : mais, dans les cas que j’ai connu du moins c’était « marche ou crève » avec une vision un peu janséniste du mariage, de l’enfantement ce qui fait que la joie des moments en famille, du temps agréable passé ensemble nous ont manqué. Et aussi que ces mamans exemplaires étaient parfois bien usées au bout du compte, ce que nous cherchons plus – trop?- à éviter maintenant.
Alors là… MERCI !! Merci à vous d’avoir écrit cet article et merci à votre grand-mère pour sa phrase libératrice !
« Assure un job passionnant, sois là tous les soirs pour raconter une histoire et partager le quotidien, achète bio pour avoir des enfants en bonne santé et au teint frais (mais alors remplir ton frigo deviendra une course d’orientation), décore ton intérieur comme si c’était un magazine de déco, protège ton couple avant toutes choses, nourris toi intellectuellement pour briller en société, prend soin de toi les autres te regardent partout maintenant … » – ces mots (que personne ne dit pourtant textuellement !) sont exactement ceux que je me martèle parfois à moi-même, désespérément persuadée que tout le monde y arrive sauf moi… Votre article plein de vérité et de recul fait un bien fou, merci mille fois et bravo à l’héroïne du quotidien que vous êtes !