J’ai 3 filles mais la dernière est au ciel…

« Combien as tu d’enfants ? »
Voici la question qui, depuis le 16 mars de cette année, me terrorise…
Je ne sais jamais quelle est la bonne réponse, je ne sais pas si je dois dire la vérité, au risque de mettre mon interlocuteur mal à l’aise, ou juste répondre 2 enfants et avoir l’impression d’avoir honte de ma fille, ma battante, ma guerrière que j’aime. Vous l’aurez compris : j’ai 3 filles, mais la dernière est au ciel.
Lorsque j’ai su que j’aurais l’opportunité de témoigner dans Maman Vogue sur mon histoire, j’étais assez impressionnée car je ne suis ni journaliste, ni écrivain, et je n’ai pas la prétention de pouvoir parler au nom de qui que ce soit, même si nous partageons pour beaucoup la même douleur. Je ne pensais pas un jour être cette personne, mais la vie en a décidé autrement.
Après la peur, j’avoue avoir été excitée comme une petite fille de pouvoir parler de moi, de ma souffrance et de pouvoir peut-être toucher ou réconforter ces mamans courages, que l’on appelle mam’anges, si méconnues et pourtant si nombreuses.
Il y a toujours cette peur au fond de vous, de déranger, de montrer la réalité de ce qu’on a vécu, d’être celle à qui, lorsqu’on lui demande comment elle va, se doit de murmurer un « ça va » de politesse, car parler de son enfant mort, c’est obligatoirement triste et tabou.
On se rend compte que, finalement, on représente une peur tellement viscérale pour certains, et ô combien je comprends, pour avoir partagé cette phobie, qu’on minimise votre peine ; et pour moi, je pense que c’est ce qu’il y a de pire. Afin d’éviter une phrase qui m’a beaucoup blessée: « tu n’as pas l’impression d’imposer ta peine aux autres? », on se tait, mais pas aujourd’hui 😌
Pour la petite histoire, ma fille de 6 ans disait à une maman de façon très naïve qu’elle avait de la chance d’avoir son bébé en vie. Impossible pour moi de pleurer en public ou vraiment lorsque l’émotion me submerge tout d’un coup, car voir la détresse ou le dégoût de certaines personnes en face de moi me déstabilise et me bloque plus que de laisser libre cours à mes émotions si instables.
J’ai passé une grossesse plutôt normale, malgré de nombreux saignements et une fatigue intense qui n’avaient pas l’air d’inquiéter les médecins. On dit souvent d’une grossesse que ce n’est pas une maladie, mais j’ai l’impression tout de même qu’on n’écoute pas assez les femmes enceinte et, avec du recul, j’aurais dû me faire davantage confiance.
A 7 mois, on me découvre un placenta accreta qui n’a engendré aucun changement de mon mode de vie, ni de modification pour l’organisation de l’accouchement. J’ai appris par la suite que ce n’était pas anodin du tout, par une sage femme que ma sœur m’avait envoyée.
Bref …
Le jour des 40 ans de mon mari, toute notre vie a basculé. Une douleur, de plus en plus vive au ventre me saisit de chaque côté, en pleine rue, impossible de bouger. Ma mère a le réflexe d’appeler les pompiers, mon mari me rejoint dans le camion et pose sa main sur mon ventre, ce qui me fait hurler de douleur. Il se rend compte que je fais une hémorragie interne, il appelle mon gynécologue qui fait le diagnostic : rupture utérine. Ce qui est fou, c’est qu’il n’a aucune expérience en médecine ! Le Samu arrive, puis direction l’hôpital Louis Mourier à Colombes : je faisais une rupture utérine sur 12 cm avec section des artères à 34 semaines de grossesse…
Durant l’opération de 4h, un des 2 chirurgiens est sorti du bloc et à confier à mon mari qu’il n’y avait que 4% de chances de me revoir vivante.
J’ai su plus tard que j’étais arrivée à 2mg d’hémoglobine (pour une femme adulte, les valeurs normales entre 12 et 16mg) transfusée de 2,5 L et que je n’avais plus d’utérus.
Ma Castille, elle, était en réanimation en neonat. Au bout de 3 jours, j’ai pu aller la voir pour la première fois, car je n’avais pas bougé des soins intensifs. Mon cœur de Maman a explosé d’amour pour cette toute petite merveille ! J’étais fière, elle était belle. Je voulais la prendre dans mes bras, la câliner, l’embrasser, mais avec tous ses petits tuyaux dans sa couveuse, c’était impossible. Bizarrement, personne ne m’avait dit : « vous avez accouché » ou « vous êtes maman » …. j’étais obnubilée par le peau à peau, je répétais que je voulais avoir ma fille contre moi, je ne sais pas si c’était par instinct animal, ou peut-être au fond de moi celui de vouloir la sauver par ce contact. Lorsque j’avais pu enfin prendre mon bébé dans mes bras, en peau à peau, j’ai ressenti cette sensation unique, jamais vécue, même avec mes 2 filles auparavant : j’étais enfin complète.
L’hémorragie avait provoqué un manque d’oxygène qui fut fatal pour son petit cerveau.
Le placenta accreta avait permis que nous survivions pendant les 2h entre le début de l’hémorragie et l’arrivée au bloc, sinon en 2 minutes tout aurait été fini pour elle comme pour moi.
Les docteurs arrivent et le verdict tombe, froid et sans appel : mort ou handicap grave.
Cette néfaste promesse salissait ma courageuse petite fille et détruisait mon cœur de maman, nous nous étions battues contre une injustice qui n’existe pas et là, finalement, on allait perdre. Un IRM s’en suivi… Durant l’ attente interminable de ses résultats et dès que mes soins étaient trop douloureux, je pensais à ma fille en me disant qu’il fallait qu’elle s’en sorte et que je m’oublie pour elle. En soins intensifs, je prenais sur moi pour tirer mon lait, je ne pouvais pas m’assoir toute seule, et avec tous les fils et les drains, ce n’était pas chose facile, mais tout est bon à prendre pour essayer de lui donner des forces.
Au bout de 2 jours, nous avons les résultats qui sont catastrophiques, le corps médical nous prépare à l’impensable : lui dire adieu et arrêter son respirateur. Seule, je huuuurle dans ma chambre : je veux mon bébé !!!! Je ne veux pas qu’on me l’enlève. 😪
Je devais organiser son baptême et ce sera un enterrement.
À ce moment là, personne ne pense à la besogne qui nous attend, mon mari et moi : annoncer à nos 2 filles que leur petite sœur va mourir ; non seulement, vous souffrez le martyre, mais vous devez, en plus, être l’objet d’un cataclysme pour vos enfants. Mes filles ont pu la prendre dans leurs bras, grâce à une des 4 infirmières extraordinaires de Castille. Ce fut l’accomplissement d’un rêve pour mes enfants et je pèse mes mots.
Un grand merci à ces femmes, et mamans pour la plupart, hors norme, douces, compréhensives et humaines.
Nous décidons de faire baptiser notre Castille le lendemain et, contre toute attente, ce fut un souffle de vie. Juste quelques membres de notre famille pouvaient y assister et du coup la voir, la toucher, créer des souvenirs et la rencontrer.
Le lendemain, nous la laisserons partir ; la décision la plus dure de notre vie. Son cerveau avait été tellement abîmé par le manque d’oxygène qu’elle ne pouvait pas vivre, c’était de l’acharnement thérapeutique, nous étions mon mari et moi complètement perdus, c’est extrêmement difficile d’accepter cette décision car on a l’impression de jouer à Dieu, d’avoir le pouvoir dire « tu vis ou tu meurs » ; devoir choisir le jour de la mort de son enfant est inimaginable.
J’ai ressenti le besoin de demander l’avis à un prêtre pour m’apaiser, c’était tellement fou. A l’hôpital on nous répétait de prendre le temps, nous le prenions mais sans trop comprendre ce qui nous arrivait. Elle souffrait, il fallait s’y résoudre.
Notre toute petit amour a mis beaucoup de temps à partir dans les étoiles, 8h : 8h dans mes bras, 8h de relation intense semée d’amour, d’incompréhension, de douleurs, de stress, de désespoir, mais aussi de cette sensation pour moi jamais ressentie auparavant de plénitude.
J’aurais voulu garder mon tout petit avec moi des heures et des heures, et je suis prête à tout re-subir pour que ma fille ne souffre pas.
Tous les 16 de chaque mois, je repense à sa naissance, chaque jour jusqu’au 24, jour de sa mort, je me remémore ce que je vivais, où j’étais, ce que nous devions affronter. Une de mes phobie était qu’elle ne soit pas vraiment morte, on entend tellement d’histoires invraisemblables, il était hors de question que je l’abandonne. J’ai donc demandé une échographie de son petit crâne pour être sûre à 100%, mais, malgré ça, cette angoisse m’a poursuivie pendant plusieurs mois.
Il faut, pour nos filles, voir l’avenir avec Castille mais de façon différente, ce que nous avons vécu est inhumain, mais je revivrais tout comme avant, rien que pour la revoir.
J’ai découvert toutes ces mamans et papas, qui ne portent pas de noms puisqu’il n’existe pas de termes, lorsque vous avez perdu votre enfant, des parents d’anges si courageux, si douloureux et souvent si seuls. Nous ne sommes ni sordides, ni contagieux.
Alors, si vous croisez le chemin ou l’Instagram de ces parents, votre réaction ne sera jamais inadaptée si elle est remplie d’amour.
La vie ne nous a pas épargnée par la suite et le courage et l’espérance m’ont manqué par 2 fois, et j’espère un peu de répit maintenant. Le fait de souffrir n’empêche pas certaines personnes malveillantes de vous faire mal : c’est facile de frapper, lorsque vous êtes à terre.
Ma famille, tellement importante pour moi : mes sœurs et mes cousines et quelques amis très proches furent des bouée de sauvetage. Je me rends compte tous les jours de cette chance.
J’ai voulu donner à mes filles cette chance inestimable d’être 3 sœurs, 3 mousquetaires…
Ces sœurs sans qui je ne pourrais pas vivre, rire, pleurer, me confier sans être jugée.
Mes enfants ont une petite sœur, mais elle est différente, elle n’est pas sur terre et elle brille.
Il m’arrive de ressentir un vide abyssal, un désarroi, une panique, avec lesquels j’essaye de continuer à vivre mais de façon presque mécanique.
Encore aujourd’hui je ne sais pas ce que sera demain, ni comment je réagirai aux diverses situations qui vont s’offrir à moi.
Ma plaie reste ouverte et à vif et, même lorsque je suis maquillée, que je ris ou que je danse, que je ne laisse rien paraître, de temps en temps, j’ai juste envie d’ouvrir mon chemisier pour montrer ce ❤️ qui saigne.
Je n’oublie pas…
» Tu ne sais jamais à quel point tu es fort, jusqu’au jour où être fort reste la seule option. » Bob Marley
Claire de Vignon
Instagram Clairementrois
© Crédits photos Claire de VIgnon ©Sandra Seitamaa Unsplash
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7 commentaires
Votre témoignage était vraiment poignant et glaçant en même temps jai aussi 3filles comme vous la 3ème est morte in utero a 3jours avant accouchement cela fait 7mois mtnt jour pour jour j’arrive tjrs pas à réalisée. Jai de la rage de la tristesse de l’incompréhension et de la culpabilité en même temps j’ai mal au coeur tout le temps envie de hurler de parler ou de crier.Helas mon entourage et ma famille personne ne veut en parler c un sujet considéré tabou qui nous ronge à l’intérieur.
Et oui, cela va faire trente ans cette année en septembre et cela me semble hier. Avec les années, deux magnifiques frère et sœur cadets, une psychanalyse, une grosse remise en question, des beaux enfants géniaux, et deux petites-filles le chagrin s’est estompé et je me dit que c’est elle qui m’a envoyé tout cet amour. Elle est toujours là. Son portrait est sur l’étagère avec ceux qui ne sont au paradis mais c’est dans mon coeur qu’elle est restée. J’ai trouvé la force de continuer à vivre par la résilience. C’était ma première et ça… J’ai passé cinq semaines merveilleuses avec cette petite personne qui est partie une nuit sans faire de bruit. J’ai eu mal comme je n’avais jamais eu mal. Et pourtant, tout ce que j’ai pu dépasser ensuite, c’est grâce à sa venue et à son départ. Elle m’a construite, m’a rendue adulte et responsable. Ne perdez pas l’espoir et parlez d’eux. Ils sont notre histoire et notre vie. On peut dire que l’on est veuf de son enfant. Si ce n’est pas employé dans le langage courant c’est pourtant le terme le plus juste. Ce n’est pas un ange, pas dans la religion chrétienne en tout cas. Elle a sa place auprès de Dieu, mais elle sera à jamais dans mon coeur. Je la vois dans les yeux de son frère et de sa sœur et même de le petite dernière. Je l’appelais mon petit oiseau, elle s’est envolée. Albanne
J’ai perdu mon fils le 28 octobre 2019, votre histoire m’émeut car je ressens votre peine. Moi-même très malheureuse je n’arrive pas totalement a avancer. Je fais un pas, et je recule de 10. Le manque de mon fils est difficile a vivre au quotidien. Et je me sens seule, a part ma meilleure amie qui me soutient les autres ne me parle jamais de mon fils. Quand je ne verse pas de larmes, je pleure a l’intérieur ! Enfaite tout les jours mon coeur saigne, tout les jours je pleure a l’intérieur de moi. Jai mal dans mon coeur, dans ma chair ! Et les gens sont stupides avec leur commentaires. D’autres ne me parle plus mais regarde ma vie sur les reseaux sociaux, comme si jetais un animal de cirque. Donc jai tourner le dos a ses gens la en les supprimant car je vie quelque chose qu’ils ne peuvent pas comprendre. Douce pensée a Castille et a mon fils Maïron ainsi que tout bébés parties beaucoup trop tôt
Votre témoignage m’ a beaucoup ému..non la grossesse et l’accouchement n’ont rien d’anodin .
Les femmes sont courageuses ,combatives,et tellement touchantes …nos enfants nous les portons ,ils grandissent en nous ,notre corps leur fait de la place ,ils font parti de nos entrailles ..il faut du courage pour les laisser partir.nous sommes des guerrières pacifiques ….
Très touchée par votre témoignage, mon ange est parti directement sans que nous ayons le temps d’imprimer son visage, quelques jours après un monstre m’a dit « ce n’est pas grave vous en avez déjà 2 (enfants) ». Contrairement à vous, nous avons pu donner vie une denière fois mais cet enfant reste en mémoire et dans notre coeur à tout jamais.
Vos mots sont les miens .rupture aussi .mauvaise prise en charge médicale aussi.meme décision a prendre.16 jours de vie ; de lutte pour toute la famille.et la rencontre de la fratrie le jour du baptême ma fille est restée éveillée comme jamais .je pense qu’elle a reconnu les voix la présence de ses frères.
Après une nuit l’une contre l autre dès que je remet constance dans son berceau elle arrête sa respiration.seule a devoir affronter ce moment heureusement une équipe médicale exceptionnelle.
Puis le retour sans bébé juste un corps; des âmes ;et une famille meurtris.
Puis les soucis de santé de l’un les opérations…je n’ai jamais vu autant de medecins que durant l année suivant.
les trahisons les coups bas ,les gens qui pensent qu’il ne faut surtout pas me parler de ma fille mais d autre chose pour me divertir.ceux qui pensent qu’il vaut mieux me laisser seule.le corps médical qui ne se remet pas en question.il m’a fallu une année en mode zombie pour reaprendre ,encaisser le coup ;
Jusqu’au mois de février chaque année aussi difficile à passer.
Mais la reconstruction est longue et difficile pour moi de me réinvestir dans la vie sociale et fais le choux de ne plus travailler.mais là aussi certains considèrent que deux ans après je ne fais que profiter du système que mon mal être n’est plus légitime.voila c’est terminé: cette année sur la déclaration d’impôts sur le nom de ma fille j’ai dû cliquer sur SUPPRIMER
Chère mam’ange, merci pour votre témoignage qui m’a touché jusqu’aux larmes. Je n’ai pas vécu personnellement ce drame mais une amie oui… et c’est terrible de vivre cela à ses côtés. Sans savoir si ce que l’on fait avec et pour elle est suffisant. Impossible de dire je comprends ni je partage ta douleur car… cette douleur je ne l’ai pas expérimentée. Je suis à ses côtés, ma seule arme est la tendresse et l’amour que je lui porte.
Son petit ange est au ciel…