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"Mères malgré tout"- Récit bouleversant sur le deuil périnatal

 
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Elle se retrouve douze ans en arrière en ce jour de septembre. Cette agréable journée de fin d’été où, avec son mari, elle part vers une nouvelle rencontre avec leur futur enfant. Cette journée qui avait commencé dans la joie, mais qui s’est terminée dans l’angoisse d’une chambre d’hôpital. Puis, ce lundi où tout s’est accéléré, et où elle s’est retrouvée à accoucher beaucoup trop tôt de leur fille. Mort-née qu’ils disaient alors qu’elle savait qu’elle l’avait entendue vagir.

À partir de ce moment, elle dut se lancer dans un combat quotidien. Celui d’accepter l’inacceptable, entendre des choses invraisemblables et devoir avancer coûte que coûte.

Elle revient à la réalité de son bureau, mais aussitôt repart, happée par son passé. Les mots lus quelques minutes plus tôt ont ouvert la porte de tout ce qu’elle était arrivée à enfermer dans un tiroir de sa mémoire.

Elle se remémore le baptême de leur ange à l’hôpital. Un baptême ponctué de larmes devant une poupée endormie à jamais, qui ressemblait déjà beaucoup à son papa. Et ce retour à la maison le ventre et les bras vides.

Les jours sans fin où elle ne pouvait que pleurer cet enfant. Toutes ses larmes qui sortaient encore et encore jusqu’à l’épuiser. Son corps réagissait en mère. Son sommeil s’était fait léger alors que ses nuits n’étaient pas émaillées de pleurs d’enfant, mais uniquement de silence et de vide.

Elle dut surtout supporter les mots dits avec bienveillance par les autres, mais qui la marquaient au fer rouge. Ces phrases de tous ces bien-pensants qui la faisaient hurler de l’intérieur. Pour beaucoup, elle n’avait pas accouché d’un vrai bébé.

Alors qu’elle menait cette bataille pour ne pas s’enfoncer elle devait aussi se battre contre tous ces autres qui savaient mieux qu’elle, qui ne comprenaient pas qu’elle puisse être aussi malheureuse.

Elle comprit vite qu’elle n’aurait que peu d’oreille attentive à part son mari, le seul phare dans ses nuits noires agitées. Alors elle se jeta à corps perdu dans un autre combat. Celui d’apprendre à faire semblant. D’être celle qu’on attendait d’elle : la femme toujours souriante, d’humeur égale qui était toujours là pour les autres. Cette facilitatrice à qui l’on ne facilitait pas grand-chose. Le téléphone sonnait peu. À croire que si la Mort était un sujet difficile à aborder pour beaucoup, celle d’un enfant était un tabou, un interdit à fuir.

Après quelques semaines, elle dut se résigner à encaisser les avis médicaux. Elle avait mis beaucoup de temps à tomber enceinte, avait cumulé les fausses-couches précoces avant enfin de porter une vie qui voulait s’accrocher et gigotait en elle. Une vie ravie par une banale infection. Une infection qui touchait qu’une femme sur mille. Et il avait fallu que ça tombe sur elle ! Retomber enceinte aurait été trop dangereux. Elle sut alors qu’une page allait encore être tournée.

Le seul combat qu’elle ne put pas mener à bout fut celui contre les kilos en trop dus aux hormones. Celles pour la soigner comme celles pour lui éviter de retomber enceinte.

Mais la bataille qu’elle voulait mener c’était celui d’être considérée comme une maman. Une maman d’un petit ange, mais une mère quand même.

Pour la plupart, ce bébé n’avait pas existé. On lui reproche même de lui avoir donné un prénom, une existence légale, l’avoir vu et tenu dans ses bras. Combien de fois avait-elle voulu leur hurler qu’elle était bel et bien mère ? Elle avait souffert dans sa chair, car les médecins, peu humains, n’avaient pas pu la soulager en temps et en heure. Elle avait dû encaisser, à peine sortie de la salle de naissance, la remarque du médecin accoucheur que » cette fois elle avait fait un brouillon, mais que la prochaine fois elle ferait un chef d’oeuvre ». Sa fille n’était pas un brouillon, mais déjà son chef d’oeuvre. Elle n’avait même pas eu la force de lui répondre, trop abrutie par ce qui venait de se passer. Ne comprenant pas encore vraiment ce qui s’était passé.

Au fil des mois, elle pleurait moins donc c’est que forcément, elle allait mieux. Du moins, c’est ce que tout le monde pensait. Elle jouait très bien la comédie et ce n’était finalement pas plus mal, car au moins, on la laissait tranquille. Elle voyait bien que son mari avançait bien plus vite qu’elle. Il était toujours d’un vrai soutien quand elle flanchait, mais il n’avait pas souffert dans sa chair comme elle. Il ne pouvait pas toujours comprendre ses réactions, mais au moins il était là. Il désirait ardemment cet enfant d’elle, mais il ne connaîtrait jamais le mal d’enfant, en ayant déjà eu d’un premier mariage.

Il la voyait toujours comme une femme désirable malgré les modifications physiques et la considérait comme une vraie maman.

Il n’oubliait jamais la fête des Mères. Ce n’était pas cruel comme le pensaient certains. Non ! c’était juste une preuve d’existence de leur enfant. Le symbole de son statut de mère.

Tous les 19 septembre, c’était l’enfer qui recommençait. Elle pouvait même, au début, sentir la douleur physique dans son ventre. Les années adoucirent un peu les choses, mais ce jour restait toujours difficile.

Au début, elle avait du mal à encaisser les annonces de grossesses de ses amies. Bien sûr, comme à son habitude, elle se réjouissait avec elles. Mais quand le téléphone était raccroché ou la porte refermée, c’était le masque de larmes qu’elle revêtait. Elles les enviaient, se demandant pourquoi elle n’était pas dans le lot, mais se refusait de les détester comme bons nombres d’autres femmes qu’elle avait rencontrées sur des forums. La haine envers les autres femmes enceintes, ces chanceuses de la vie, ne lui rendrait pas sa fille. Elle ne souhaitait cela à personne.

Les années passèrent. Si le désir d’enfant n’était plus viscéral, le manque revenait de temps en temps. Elle devait vivre avec ce mal d’enfant. Pourtant, elle se qualifiait de très heureuse, ayant trouvé son équilibre entre son couple, son métier, sa vie sociale et ses passions. Ce qui lui faisait encore mal c’était de voir que d’autres soeurs de galère connaissaient les mêmes remarques ou réflexions sur le deuil périnatal. Douze ans avaient passés mais les mentalités, elles, ne changeaient guère. Les médias en parlaient plus, mais les gens avaient toujours énormément de mal à affronter ce drame presque contre nature. Elle croisait régulièrement des femmes meurtries au plus profond de leur ventre et chaque fois elle avait le sentiment d’entendre encore et encore les mêmes mots.

Elle dormit mal cette nuit – là après le choc des mots et son retour à la maison, mais elle avait pris sa décision. Elle coucherait son vécu sur le papier. Elle essayerait de mener son combat de reconnaissance de l’atrocité de ce deuil particulier jusqu’au bout.

Aujourd’hui, amis lecteurs, elle espère une seule et unique chose. Si votre route croise une de ces femmes, ne la regardez pas avec pitié, elle n’en veut pas. Ne détournez pas le regard, elle ne le supportera pas. Ne changez pas de sujet, elle vous haïra pour ça. Non ! Écoutez-la quelques instants. Laissez la, le temps d’une conversation, être simplement une mère.

Extrait du livre : Mères malgré tout, Nelly Topscher, Sophie Leseure 

Photo ©Orlane Boisard

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